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LA NOTION DE D'INDICIBLE / Tentative d'approche
 
Définition du Petit Robert 1992 :
1 – Qu’on ne peut dire, exprimer = Indescriptible/ Ineffable / Inexprimable / Indéfinissable


Hypothèse

L’indicible correspond à ce qui est perceptible dans un rapport surimpliqué correspondant à la totalité des distances définies par Edward T. HALL (La Dimension cachée – 1966 / 1971 Edition du Seuil pour la traduction française). Il s’agit de ce que l’on soupçonne plus que de ce que l’on perçoit. Tous les sens connus et tous ceux que l’on ne connaît pas encore sont concernés. Il s’agit donc de l’indéfinissable.

L’indicible est de l’ordre de l’infiniment.


L’homme

L’indicible, chez l’individu, renvoie à ce que j’appellerais « l’identité » : ensemble de ses constituants psychiques et psychologiques, de ses états conscients et inconscients. C’est ce que, dans le rapport à l’autre, on ne cesse d’approcher sans vraiment le saisir. C’est pourtant la quintessence de chaque individu et, à ce titre, le plus passionnant de tous les mystères.

Une analogie pourrait être faite avec l’ADN, cette chaine extrêmement complexe, parfaitement unique, et qui renferme l’ensemble des caractères génétiques d’un individu. Les codes pour décrypter l’ADN sont connus, ceux pour décrypter « l’identité » sont encore, et sans doute pour longtemps, complètements balbutiants. La psychanalyse correspond à une tentative d’aborder le sujet, une goutte d’eau par rapport à la masse de qu’il nous reste à tenter de comprendre…

Il s’agit en fait de ce qui découle de la combinaison d’un nombre infini de facteurs liés à la « construction originelle » (celle qu’il subit) de l’individu – déroulement d’une grossesse ; caractéristiques physiques, capacités innées, environnements familial, scolaire, pratique, géographique, affectif, culturel, médical, structurel, etc… - avec un nombre tout aussi infini de facteurs liés à la « construction propre » (celle qu’il décide) de l’individu – ensemble des données recueillies du visible et du lisible au cours du temps. Le résultat de ces combinaisons est à chaque fois parfaitement extraordinaire, dans le sens au-delà de l’ordinaire, singulier. Et ce, d’autant plus, que jamais le processus ne cesse. Sorte de mouvement perpétuel…

Dans le meilleur des cas, l’indicible permet de relativiser et d’enrichir l’ensemble des conclusions issues du visible et du lisible : c’est alors l’intuition. Dans la plupart des cas, il est toléré sans être pris en compte ; c’est alors un parent pauvre. Dans le pire des cas, il est ignoré ; reste alors le poids de l’absence…


La ville

L’indicible, pour la ville, renvoie également à ce que j’appellerais « l’identité » : ensemble de ses constituants urbains, architecturaux, humains et de ses états affirmés ou non. C’est ce que l’on s’évertue à essayer de saisir, et qui ne cesse d’échapper à toute tentative de définitions. Et pourtant, c’est ce qui constitue la quintessence de chaque ville. Les seuls termes utilisés pour rendre compte de cet indicible sont extrêmement flous : une ville (un quartier, un bâtiment) est dure, belle, triste, chaleureuse, morte, agréable, vivante, fatigante, etc… Tout cela ne veut rien dire en soi, mais cela rend compte malgré tout de la présence de l’insondable. Les professionnels de la ville (architectes, urbanistes, paysagistes, sociologues, etc…) cherchent depuis longtemps à trouver les codes qui permettraient d’accéder (et donc de les maîtriser) aux ingrédients qui constituent l’indicible. En vain…

De même que pour l’homme, l’indicible dans la ville est constitué d’éléments liés à sa « construction originelle » - site d’implantation ; caractéristiques physiques et techniques ; temps de développement, type d’urbanisme mis en place ; décisions politiques, fonctionnelles, esthétiques, etc.. des différents acteurs de sa construction… - mélangés à un nombre infini de facteurs liés à sa « construction propre » - intervention quotidienne de l’homme qui modifie, accepte, refuse, s’approprie, ignore, etc… ; intervention massive de l’homme qui construit mais aussi dégrade (usure, pollutions, etc…) et détruit (incendies, guerres, etc…) ; intervention des éléments qui usent (pluie, grêle, neige, soleil, vent, froid), détruisent (cyclones, tremblements de terre, crues), etc… Le résultat de ces combinaisons est à chaque fois singulier et imprévisible. Et ce, d’autant plus, que jamais le processus ne cesse. Sorte de mouvement perpétuel…

Dans le meilleur des cas, l’indicible permet de relativiser et d’enrichir l’ensemble des conclusions issues du visible et du lisible : c’est alors l’intuition. Dans la plupart des cas, il est toléré sans être pris en compte ; c’est alors un parent pauvre. Dans le pire des cas, il est ignoré ; reste alors le poids de l’absence…


Interstice

Quand je parle de l’indicible, je parle donc de l’au-delà du lisible, ce que les psychanalystes appellent l’inconscient quand il s’agit d’individus, mais que personne ne sait nommer quand il s’agit de la ville. Pour réunir les deux, je parlerais donc de la « dimension cachée » (terme emprunté à Edward T. HALL mais que je n’utilise pas dans le même sens que son auteur). Cela fait longtemps (depuis que l’homme a pris conscience que la réalité intelligible pouvait être identifiée indépendamment de la réalité sensible) que cette dimension est sciemment explorée. Malgré cela, elle reste un mystère insondable qui trouve son expression pleine et entière dans le monde des arts. C’est une dimension fondamentale car elle contient l’essence des choses, la totalité des sens en quelque sorte, mais elle n’est saisissable que dans une part si infime qu’aucune maîtrise n’est possible… Heureusement… Elle est le garant de l’humanité…


L’indicible comme intuition

L’indicible correspond donc au résultat en perpétuelle évolution d’une série d’opérations extrêmement complexes et mystérieuses, entre l’inné, l’acquis, l’histoire, la mémoire, le vécu. La masse des connaissances (de tous types et de toutes origines) ainsi accumulées est, sans que nous puissions à aucun moment en avoir conscience, probablement gigantesque.

Il pourrait y avoir, dans ce puits sans fond, des bribes d’éléments qui, traversant le filtre entre conscience et inconscience – sans que nous sachions en maîtriser le mouvement – constitueraient ce que nous appelons communément l’intuition. Faute de savoir comment ce processus s’organise, se gère, ce terme fourre-tout permet de nommer l’innommable.

Tout le monde a de l’intuition, sentiment inquiétant car rien de tangible ne permet de justifier ce que l’on avance… Et pourtant, la conviction est là, lourde, incontournable…

Quand ce sentiment est réellement entendu et respecté, il permet d’enrichir de manière considérable ce que le visible et le lisible ont également construit. Car il apporte les éléments essentiels qui préservent de la conclusion : la permanence du doute, la conscience des contraires et de la diversité des possibles, l’importance des imaginaires…

Mais l’intuition aussi peut constituer un danger : celui de dominer de façon outrancière le visible et le lisible. C'est-à-dire quand l’intuition rentre dans le domaine du lisible. Quand nous imaginons que l’indicible a des règles, des codes au même titre que le lisible (ce qui d’ailleurs est probablement le cas, bien que les clés ne soient pas à notre disposition) et que nous les connaissons. L’indicible peut alors être utilisé de la même façon que le lisible : en tant que valeur sûre. C’est le domaine de l’utopie, du mirage, de la chimère, de la folie…


L’indicible comme parent pauvre

Petit à petit, grâce à la psychanalyse qui a permis de commencer à rendre compte de l’infinitude des inconnus, et à l’Art (lieu de l’expression acceptée de l’indescriptible) qui est devenu accessible à un plus grand nombre, l’indicible tend à devenir une notion tolérée…

Dans la pratique quotidienne, la notion d’intuition est fréquemment utilisée, même si l’ampleur de ce qu’elle suppose n’est pas envisagée…. Le difficulté se situe dans le fait que l’indicible reste souvent le parent pauvre du lisible. Ne pouvant être quantifiable, les risques encourus à l’intégrer dans une réalité économique semblent toujours trop importants. C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’architecture : l’architecte ne peut exprimer librement cette intuition que dans un cadre très précis : en lui trouvant dans le lisible des justifications, des appuis solides (car apparemment issus d’une analyse pragmatique) qui rassureront les instances décisionnaires.

De fait, dans la grande majorité des cas, pour que l’indicible s’inscrive dans une réalité, il faut aller chercher dans le lisible les arguments qui vont permettre de justifier les choix exposés. Du tangible pour convaincre… C’est parfaitement légitime (comment faire confiance, s’engager, sur la base de ce qui ne peut être démontré ?) et en même temps terriblement réducteur car, d’une certaine façon, il y a tricherie.


Quand l’indicible est ignoré

Mais malgré la psychanalyse, malgré la diffusion de toute la richesse des propositions qu’offre le monde des arts, il y a toujours, très souvent, abstraction totale de l’indicible. Refus catégorique d’aller là où les choses ne sont pas maîtrisables, là où tout peut être remis en cause, là où les possibles sont si nombreux que l’on pourrait s’y perdre... Les vies, les activités, les pensées tournent alors en rond... Blocage…

C’est le lieu de la vraie pauvreté… Dans tous les domaines…


Nadine Turquaud
1999 / (extrait TPFE) / 2015

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